Archéologie

Petite incartade vers ce blog comme vers un monde ancien, en parallèle de deux autres projets ( 1) . Dans quel but ? Essentiellement historique, creuser à nouveau des zones insuffisamment inexplorées. Je sais désormais mon inaptitude à créer une communauté comme à participer à la moindre. L’autre n’est pas clair, quel que soit le masque dont il s’affuble. Tout comme je ne suis pas clair évidemment. Il ne s’agit que d’un jeu de miroir du néant avec lui même. Mais le désespoir que charrie cette évidence est comme un long tunnel s’ouvrant sur une lueur malgré tout. Si rien sait désormais que rien n’existe, s’il en prend conscience d’une façon suraiguë, alors un espace se crée d’une manière mathématique. Cet espace est mystérieux, il ne ressemble à nul autre, et bien sûr on sera tenté de l’installer dans l’imaginaire pour préserver l’espace général du rien. On dirait que plus le rien prend conscience de lui-même plus il s’arme, devient belliqueux. Mais qu’est-ce que l’imagination ? qui peut en donner une définition qui ne se modifie pas avec l’époque, les circonstances, le climat, la nourriture qu’on absorbe, la limpidité de l’eau qu’on boit, l’âge de nos artères, la dose de dégoût qu’inspire l’agitation vaine ? Creuser cet te imagination est probablement la seule et unique chose que j’ai eu envie de faire. que j’ai encore et encore envie de faire; Dans une certaine mesure je suis un archéologue, complètement autodidacte à la manière de Freud qui s’arrache la mâchoire (2) à force de ronger son frein face à l’inconscient, ou bien encore Howard Phillips Lovecraft qui sous-alimenté pour cause d’écriture et d’effroi face au néant de son époque mourra d’un cancer de l’intestin. Il y a toujours un prix à payer pour s’enfoncer dans les zones d’ombres de notre psyché, et les trésors, les reliques qu’on y découvre ne sont pas amicales, je crois plutôt qu’elles nous ignorent comme nous ignorons tout des insectes, des bactéries, des microbes, au milieu desquels nous vivons en nous gargarisant d’une identité toujours misérable et factice. Il y a donc un certain dégoût qui naît en simultané à la sensation étrange de libération. Une gangue de boue tombe, on aperçoit la nature d’airain qu’elle recouvre. Cependant qu’aussitôt la question flotte au dessus de la sensation d’impuissance dans laquelle elle nous plonge : d’où vient cet alliage, ce métal, cet élément que l’on cherche tant à dissimuler et à soi-même en tout premier lieu. Quel misérable trésor de failles, de gouffres, de labyrinthes cherchons nous à préserver au regard de l’autre afin de lui apparaître dans la lueur blafarde du mensonge ? Si l’archéologie contient une qualité c’est certainement cette noblesse permettant d’entrevoir la vanité des découvertes. C’est vain mais on s’y rend tout de même, n’est-ce pas une définition amusante ( dans le sens où elle érode véritablement cette prétendue pureté des âmes ) de l’archéologie mais également de la plupart des passions humaines.

(1) voir le blog https://ledibbouk.wordpress.com/ et désormais un tout nouveau projet que j’espère participatif ( je me leurre encore par hygiène ) https://eliasgrimshaw.wordpress.com

(2) article informatif , 34 interventions chirurgicales, un cancer qui dure plus de 16 ans

illustration Artaud 1937 Apocalypse – Letters from Ireland by Antonin Artaud

L’invention d’un auteur

Premier jet, Atelier roman FB, #01.

« Nous ne pouvons choisir entre écrire et ne pas écrire. Il pèse sur nous une obligation qui ne nous le permet pas. Une obligation qui nous vient de tous les hommes, qui rend terrible notre vocation, et qui nous pousse, dans chacun de nos livres, à recommencer à dire la vérité justement avec chacun de nos livres, avec chacun de nos écrits, à la répéter chaque jour […]. Il ne s’agit pas seulement d’enrichir le monde. Il y a une question de vie et de mort dans l’exercice de notre métier » : ces quelques lignes de la postface d’Œillet rouge, écrite en 1947, pourrait servir de profession de foi à Elio Vittorini, l’auteur de la très fameuse Conversation en Sicile, qu’Italo Calvino, dans une de ses lectures critiques, qualifiait d’« œuvre-manifeste incomparable ».

Et bien voilà, la consigne et sa réponse comme elle vient. Cette interrogation à propos de l’auteur. Mais aussi une interrogation à propos du lecteur qui lit avec ses propres yeux ce texte écrit par l’autre dont il ne sait pas grand-chose.

Mais de quel auteur ou de quel lecteur s’agira t’il ? Ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui quelques quarante ans plus tard ? Comment le filtre des années les déforme t’ils ? Et si on laissait tomber les questions, si on s’imaginait, par exemple la table sur laquelle s’empile les feuillets d’un manuscrit, dans une pièce sombre, à peine une ouverture sur le dehors, la mer bien sûr. La fenêtre sera t’elle ouverte ou fermée ? Entend-on le bruit du ressac, les cris des oiseaux marins, un volet quelque part qui claque, y a t’il toujours cette pression au dehors qui rend parfois si difficile de s’accrocher à la table, à la chaise, au stylo ? Une odeur de bougainvillier, de jasmin, le pas d’une femme dans la ruelle en contrebas ? Qu’est-ce qui pousse à rester assis là dans l’ombre à écrire Dieu sait quoi parfois. A sans cesse circonscrire l’échec à venir, on finit par l’aimer sans doute, à l’attendre, à s’y préparer comme on peut se préparer à la mort. Il faudrait un peu d’ordre, un peu de méthode, et surtout ne pas se laisser avoir par la distraction. Comme si la distraction on la connaissait bien, qu’on en savait l’incidence, la brulure, surtout le soir quand le soleil se couche, que l’on se retrouve assis à la même table devant une page blanche depuis l’aube. On peut se souvenir, bien sûr de toutes les choses que l’on s’enfonce dans le crâne. Ecrire comme une obligation qui nous vient de tous les hommes. On peut désormais y ajouter les femmes, les enfants, les arbres, les pierres, la bruyère, les serpents.

Ce qui rend un auteur vivant dans l’esprit du lecteur c’est tout ce qui s’écrit entre les lignes du livre qu’on tient dans les mains, que l’on croit deviner, qui nous aide à poursuivre, parfois à patienter, à tolérer. Ce ne sont pas les prodiges de la langue, les métaphores flamboyantes, les idées sidérantes, nous le savons désormais.

J’écris ces lignes dans le bureau à l’étage, fenêtre close, c’est dimanche nous sommes en fin d’après-midi. Une pièce dont les murs sont peints en vert parce que c’est sensé être reposant, et surtout en raison du prix avantageux, en promotion, le jour où nous avons acheté ce gros pot. Je me souviens encore de la difficulté à refaire les murs. Il ne s’agissait pas à l’époque de masquer les imperfections à la va-vite. Une volonté de travail bien fait me tenaillait. Il aura fallu plusieurs jours, une semaine je crois pour retirer la tapisserie, tout gratter, reboucher les trous, enduire, plâtrer, poncer. tout ce travail préparatoire en amont avant d’ouvrir enfin ce gros pot de vert anglais, puis être enfin chez soi autant qu’on puisse se dire je suis chez moi désormais. A la fin je suis moins appliqué qu’au début, je me souviens aussi très bien. Je suis pressé d’en finir. Il y a beaucoup d’autres choses encore à faire. Une maison entière. Je sais que je suis en train de perdre quelque chose, que je suis en train de bâcler le dernier mur, on y placera une bibliothèque, les livres boucherons les traces du forfait. C’est cette idée de perfection qui me tient encore aujourd’hui. Désirer que tout soit parfait et ne jamais y parvenir, s’en culpabiliser sans trop le montrer à quiconque, aller même jusqu’à l’oubli pour que cette culpabilité petite dose après petite dose crée de profondes déflagrations dans le corps. L’impossible perfection et tout ce que l’on mettra en place ensuite pour justifier le manque, la lâcheté, la distraction. On pourra même bâtir une philosophie contraire, celle du lâcher prise bannir de son vocabulaire la perfection, on peut se leurrer ainsi bien sûr et délicieusement. Mais quand vient la nuit, que l’on aperçoit dans le crépuscule les lumières colorées de sang des usines se détachant sur le bleu nuit, quelque chose revient, et ce n’est pas un parfum de jasmin mais un parfum de mort, de décomposition, le parfum d’une débâcle venue de sombres profondeurs en soi et qui nous attire. On pourrait ouvrir la fenêtre et se jeter au travers l’encadrement, ce qui serait ridicule sans doute car grande chance qu’on n’en meurt pas sur le coup. A peine quatre mètres de haut.

Rester assis et écrire ce qui vient comme ça vient, sans s’attacher à l’idée d’une perfection. Se retrouver dans le même train, en costume de ville, un costume de comptable qui rend l’homme invisible, regarder par la fenêtre du wagon, au travers de la vitre le paysage qui défile, faire le point sur sa vie, sur ce que l’on en a ou pas compris. Puis détourner le regard, arrêter avec ce genre de gymnastique intellectuelle facile. Tourner la tête vers l’intérieur, relever la tête, un peu mais pas trop pour ne pas paraitre méprisant ou arrogant. Regarder les voyageurs, planter son regard dans celui de l’autre dans une sorte d’attente vide de toute attente, une attente qui serait déjà l’événement tant attendu, un regard qui s’exclamerait mais en douceur, sans bruit, en silence « Je te connais ».

Je te connais comme je connais toutes et tous . Comment ne pourrais-je pas vous connaitre. Vous faites partie de moi depuis le premier jour ou bien je fais partie de vous, je ne sais plus très bien. La connaissance s’effectue ainsi comme une intuition, directement, pas besoin de parler, de penser, de tricher, de mentir. La connaissance recolle immédiatement les pots cassés, la haine et l’amour, le mensonge et les vérités, la nuit et le jour.

Il pourrait y avoir de la chair autour de ces os, c’est l’idée qui vient en l’écrivant, du désir, de l’envie, des regrets, des déceptions, des espoirs encore. Il pourrait y avoir des battements de cœur qui remontent jusque dans l’oreille par des voies bouchées depuis des années. Des battements de cœur, de ton cœur à toi et à toi et encore à toi , pour que je puisse entendre les miens une bonne fois, l’écouter enfin sans en être agacé.

Qu’ai-je retenu vraiment de Syracuse, qu’avais prévu d’y trouver surtout que je n’y ai pas trouvé. Une ville déserte se dresse face à moi lorsque je sors de la gare en plein après-midi. Une odeur de goudron dans l’air, intense chaleur, ombres épaisses, j’ai soif, je cherche une bouteille d’eau mais l’épicerie a fermé son rideau de fer. C’est toujours ainsi, le prix à payer des effusions trop fortes, l’imaginaire. Je pourrais aujourd’hui descendre au rez de chaussée, ouvrir le réfrigérateur, me remplir un verre d’eau glacé, mais ce ne sera pas la même chose, la soif sera étanchée comme ce mur fut achevé dans une fausse urgence, à la va vite.

Ce que veut dire le mot ténacité demande bien plus qu’écrire comme ça vient. On ne peut pas se cantonner dans cette superbe, dans cette prétention que procure le rôle d’auteur. Il faut passer derrière le rideau, aller faire un tour dans les coulisses, voir toute la merde, le désordre que l’urgence des spectacles produit parfois, que l’urgence produit toujours.

le lecteur pourrait avoir un rôle important, pourquoi pas le rôle principal. Il serait là pour dire à l’auteur « mais bon Dieu parle droit; cesse donc tes simagrées, va directement au but, dis les choses simplement que je te comprenne.« 

L’auteur se retourne à ce moment là exactement dans le train, il regarde les autres voyageurs, les autres voyageurs le regardent. Tout le monde est dans l’attente de quelque chose – c’est ce que se dira l’auteur. Et à ce moment là le lecteur passera, bien sûr qu’il passera et il dira, va en paix, nous n’attendons rien de toi, absolument rien. Il y aura cette douleur encore à traverser comme un paysage de nuit, le train ralentira, puis freinera, on apercevra la pancarte Syracuse plantée sur le quai. Il y aura une minute pour attraper la valise, regarder une dernière fois les autres dans le wagon, leur sourire un peu bêtement, quelqu’un dira « et le chapeau, tu oublies le chapeau » que tu remercieras presque au bord des larmes.

tu te retrouveras seul dans la gare de Syracuse, et quelqu’un te mettra la main sur l’épaule contre toute attente. Le lecteur bien sûr est descendu en même temps que toi. Et ce lecteur sera une lectrice, bien sûr.

 » Et cette bibliothèque dans le bureau dira t’elle alors, tu sais que je sais, tu ne me la feras pas, c’est certain, et la conversation continuera ainsi sur le genre de livres que j’y a fourrés pour masquer le travail bâclé.

Et tu riras, ce sera plus fort que toi à ce moment là, tu riras et la lectrice se tiendra les côtes aussi, certainement. Ce sera plus juste de dire qu’il s’agit d’une lectrice après tout.

Nuit

Peinture de Maurice Der Markarian

La nuit reprendra tout quand elle sera fatiguée de ses rêves de lumière.

La nuit femme, la nuit mère, la nuit dévergondée, la nuit enfant, la nuit recyclée

descendra de son son grand vélo, elle aura fait un si grand tour

Et comme un enfant je pénétrerai la nuit dans un rêve d’homme, de vieillard, de moribond

et le voyou tutoiera le saint

Les chiens seront des chats

les chattes des chiennes

Il y aura aussi des ours bruns, des colibris, de la salsepareille et du jasmin

il y aura tout ce qui d’ordinaire se tient dans l’ombre

au pied d’un mur

il y aura enfin l’extraordinaire béance noire

des lèvres peintes en noir

la langue obscure de l’anthracite

murmurant des promesses au jais au naphte à la bauxite

jailliront de toutes parts

les geysers puissants du silence assourdissant.

On les écoutera on ne les verra pas.

Je baiserai la nuit elle me baisera

nous baiserons l’horizon infini à nous rejoindre dans un cri muet

J’aimerai cette nuit

elle m’aimera

nous n’aurons plus que cela à faire

de nous aimer

de produire la nuit

comme un enfant de nuit en nuit dans la nuit.

un foulard de soie resséré

Etroitement

autour de nos cous réunis

11062023

Sur la couverture du livre il s’agit d’écrire roman, sur la façade de tel ou tel bâtiment il suffit d’allumer le panneau lumineux caractéristique d’un théâtre, sur le cœur d’épingler l’étoile jaune pour dire juif.

La nuit parfois la désignation, désigner un livre, un bâtiment, un être, lui semble être au-dessus de ses forces.

Tourner seulement dans cette idée de dégoût. En réarrangeant l’ordre des propositions.

Sur la façade de ce bâtiment est écrit Théâtre. Sur le revers de la veste est épinglée l’étoile jaune. Ils se sont dépêchés d’écrire roman en plus petit sur la couverture de ce livre juste sous son titre.

La nuit il se heurte à toute désignation. Tout est déjà désigné d’avance. Il n’y a plus rien d’autre à désigner.

Le mot Théâtre est inscrit sur le fronton de ce bâtiment, ce juif doit porter une étoile jaune sur le cœur, même s’il ne la montre jamais, et, bien sur cette histoire sera mieux acceptée si on la désigne par le mot roman.

Une écriture catatonique qui ne s’adresse qu’à la page blanche pour la noircir.

A l’origine il accepte la désignation sans broncher, ne la remet jamais en question. Il faut bien nommer les choses puisque c’est ce qui nous différencie des animaux. Le pouvoir de nommer dont s’emparent certains hommes, puis qui le font peser sur certaines femmes, ou sur d’autres êtres animés.

« Nous avons décidé que tu étais un lâche, un incapable, un être nuisible, une pute, un salaud, et il n’y a rien à redire, c’est comme ça. »

« Évidemment tu as le droit de ne pas être d’accord, essaie pour voir, débat-toi qu’on rigole, proteste à voix haute qu’on t’assomme. »

Il sera de nouveau ce bleu qui passe le portail de l’école. La nuit il lui arrive encore de se remémorer la scène. Il tient sa valise de la main droite, de l’autre son cartable. Il se sent gauche. Il ne se sent pas à sa place. Sûr que le couperet va tomber au même moment ou il passera le seuil de l’établissement. Le bleu envahit son crâne, tout de lui est déjà bleu avant même d’entendre le mot. S’il pouvait disparaître sous terre, ou bien se réveiller de ce mauvais rêve, mais pour se rendre où ? Y a t’il sur la terre un lieu où il peut échapper une bonne fois pour toutes à la désignation ? Y a t’il un lieu possible sur la terre où l’adjectif n’existe pas encore, n’existe plus ? Y t’il quelque part ici-bas un espace temps dans lequel on peut disparaître enfin dans l’anonymat ? Ne plus être qu’un bâtiment dans la ville, un livre sur une étagère, un être face à des questions sans réponse.
De chaque coté de l’allée qui mène au château et à ses dépendances, des gens s’arrêtent de parler pour le regarder franchir le portail de l’établissement. La pension s’est installée là, dans ce château, qui fut jadis réquisitionné par la Gestapo. On y voit un parc suffisamment vaste pour que le regard s’y perde, on y devine des limites confuses, des essences au loin qu’on ne peut identifier. Pour parvenir jusqu’ici le véhicule doit franchir un petit pont, traverser un ruisseau, puis s’arrêter sur un parking près d’un cours de tennis flambant neuf. Le reste du chemin est à faire à pied le sur une route goudronnée en pente. Il n’y a pas à proprement parler de portail. Il y a ces groupes de personnes qui soudain se taisent et les toisent lorsqu’ils parviennent à leur hauteur. Ils forment une haie silencieuse qui débouche vers l’inconnu dont on ne connaît que la couleur pour l’instant, la couleur bleu.


Le ciel change, le blanc des nuages se découpe désormais sur le bleu, les plus proches, plus précis dans les contours, plus contrastés que ceux éloignés. Ainsi se fabriquer une profondeur avec quelques observations. Nous partons vers 16h pour arriver à l’heure au spectacle. S. émet la possibilité d’un trafic dense qui me paraît être un prétexte pour partir de la maison plus vite. C’est elle qui conduira, ce qui m’arrange car je pourrai lire sur mon portable la suite de l’article sur Vittorini trouvé sur Cairn. Je me demande ce que pouvait être le parti fasciste italien à l’époque pour que tant d’écrivains y adhèrent. J’imagine que le mot fasciste ne signifiait pas du tout la même chose qu’après guerre. De nos jours combien de jeunes gens adhèrent probablement à des mots qui dans dix, vingt, cinquante ans seront synonymes de dégout pour les êtres à venir qui traverseront l’histoire.

Le spectacle a lieu à 17h 30 à la ferme du Vinatier. Une fois sorti du véhicule j’aperçois de loin un groupe de résidents menés par une femme en blouse blanche. Mais je ne m’y attarde pas car je découvre un espace vert à l’opposé, clôturé par un grillage à larges mailles derrière lequel broutent des chèvres. Je n’ai pas envie de rejoindre les gens là-bas tout de suite, je donne comme prétexte un intérêt pour ces animaux parqués, et je sors mon portable de la poche pour bien montrer que je vais faire des photos, que cette décision est prise et qu’elle est irréfutable. Mais S. a déjà reconnu plusieurs personnes devant les bâtiments, elle m’interpelle, « il y a les X et les Y viens je ne veux pas y aller seule ». Je serais bien resté quelques minutes de plus. Idéalement jusqu’à l’heure où il faut entrer dans la salle, dans la pénombre, s’installer pour regarder le spectacle. Puis le fait de retrouver des connaissances que nous n’avons pas revues depuis un bon lustre n’est pas si désagréable que ça.

Hugo et Gigi fidèles au poste. Ils ne changent pas beaucoup, se ratatinent comme tout le monde, mais peut-être un peu plus au ralenti. Pas mal de copains font partie de la troupe. L’intitulé du spectacle de cabaret m’évoque ce tableau célèbre de Munch, le Cri, et aussi les souvenirs de la dernière exposition où je m’étais rendu cet hiver, ainsi que la déception qui l’accompagne encore. Presque pas de peinture sur les toiles, des choses peintes comme à la va vite, des marrons tristes couleur de merde.

Des textes chantés ou lus qui ont tous comme point commun la pauvreté, la misère, l’exploitation de l’homme pauvre par le riche, très affirmé politiquement comme souvent. Mais quelque chose cloche cette fois. La sensation d’assister à une ritournelle dans la ritournelle. Comme une zone de confort, un repli du temps dans lequel on se vautre pour se rassurer de quelque chose encore. Et surtout le final quand tous les acteurs sont alignés en rang d’oignons face au public et gueulent « on ne lâche rien » Quelque chose de factice, une sensation de malaise. Comme si on ressortait des répliques de Top Chef dans les années 70, que l’on s’accrochait à un espoir défunt depuis des décennies. Une sorte de forcing pour réanimer un cadavre. Les fantômes des gilets jaunes passant comme des spectres en transparence. Mais pas que, presque cinquante ans d’enculades politiciennes en filigrane, de De Gaulle à Macron et ma foi toujours rien d’autre que quelques chansons passés de mode, un peu de mobilier urbain dégradé, le ton métallique des JT, la vie qui suit son cours et les baisés comptez-vous.

Je veux dire qu’il y aurait de quoi faire aujourd’hui une révolution véritable, mais que tout le monde paie malgré tout rubis sur l’ongle ses impôts en respectant bien les délais par crainte de se voir infligé une majoration automatique. Sauf ceux qui n’en paient pas, soit parce qu’ils n’ont pas de quoi, soit parce qu’ils sont bien plus malins que tous les autres, sans oublier ceux atteints de négligence chronique. Encore que je crois de plus en plus que négligence rime avec résistance.

L’émotion à écouter les textes, les chansons, cette vieille émotion qu’on m’extirpe malgré moi, je prends le temps de m’y livrer pieds et poings liés, de retomber comme en enfance, ou dans une jeunesse sublimée par le temps passé. Puis je me révolte, intérieurement je me révolte. Je ne suis plus d’accord pour adhérer à ce genre de messe. La cervelle prend aussitôt le relais, j’observe la position des corps, les mouvements, j’écoute les timbres de voix, j’étudie la mécanique dans le plus petit détail, quelque chose au fond de moi est de glace.

« On ne lâche rien », tout à fait d’accord mais pas sur les mêmes choses, et surtout plus avec les mêmes moyens. Il faudrait que ça bouge, que ça bouge à tout péter, à remettre tous les compteurs à zéro.


L’Italie et sa littérature provinciale c’était le leitmotiv de Vittorini, de vouloir ouvrir la littérature italienne au monde, notamment à la France. Et c’est une chose bien étrange qu’il reste inconnu de bien des intellectuels sur lesquels je suis tombé. A la rigueur Malaparte on connait, et encore à part La peau pas grand chose d’autre. Mais bien sur les intellectuels est un mot péjoratif. Désormais d’autant plus quand j’observe ceux qui déclarent que la démocratie est passée de mode, que l’urgence est à l’ordre, et que lorsqu’ils parlent d’ordre il s’agit bien évidemment de contraindre à épouser un fantasme, leur propre fantasme. La rupture entre le PCF et Vittorini vient en grande partie de ce malentendu concernant cette notion d’ intellectuel sans les années 50 déjà, donc rien de bien nouveau. Ils trouvent toujours un prophète, que ce soit Marx, Staline Freud ou Hitler ça ne les étouffe pas.

Etre dans la masse à ses cotés, chuter avec elle quand elle chute, se relever quand elle se relève, Passer de la masse au peuple et du peuple aux gens, à ses voisins de palier, voilà un vrai parcours intellectuel, le reste n’est que du blabla.

Je n’aime pas les gens parce qu’ils sont encore beaucoup trop des gens.

Les journaux aussi disent les gens, des individus ils n’en parlent qu’en héros, terroristes, victime, disons surtout comme ça les arrange de flatter leurs maîtres, de caresser le bon ton dans le sens du poil.


Pas sûr qu’Ernst Jünger, son traité du rebelle notamment n’ait pas été le poison le plus destructif jamais absorbé. Beaucoup trop cérébral, il m’aura surtout enclin à me refugier dans un fantasme de rébellion, justement très intellectuelle. Quand on a encore le temps de penser c’est qu’on n’est pas aussi acculé qu’on le croit ou qu’on le désire. La spontanéité des révoltes, comme la spontanéité d’un geste en peinture, c’est peut-être ce qui se rapproche au plus près du vivant. De se sentir vivant, d’être en vie. Ce qu’on nomme la brutalité de la vie est un point de vue.

Et puis soudain:  » quel âge as-tu déjà rappelle le moi ?  » Et si la révolte était une tentative de retrouver la jeunesse, ou de s’en fabriquer une toute neuve ? Certains vieux prennent des jeunes femmes d’autres attrapent des révoltes au collet. D’autres encore s’en fichent complètement, ils allument leurs télés, ils savent que tout est faux même la vérité.


Dans le fond, ce livre, ce tout petit livre qui pourrait bien être le ressort de cet atelier « roman » est l’histoire de la résignation, comment on y entre, comment de ce point de vue on voit le monde, comment le doute soudain s’immisce, comment on en sort ( comment on parvient à s’en échapper, à s’enfuir de la résignation )

Ecrire rend seul, de plus en plus, et au fur et à mesure on peut dire que l’écart se créer par la suppression des qu’est-ce que va penser un tel une telle si j’écris cela. Ce genre d’écriture catatonique est comme un voyage chamanique, une mine qu’on creuse de plus en plus profondément pour parvenir au nerf de l’ombre, à la douleur de plus en plus vive qui fabrique l’ombre. C’est se livrer à une solitude inédite dans laquelle on doit aller jusqu’à se perdre soi-même comme compagnon.


C’est dimanche nous partons à pied vers Roussillon effectuer quelques emplettes de fruits et légumes. Nous nous disons il faut marcher, c’est d’ailleurs ce qu’a conseillé à S le toubib. Et pas besoin d’être grand clerc pour saisir que ça s’adresse à moi aussi. Cette lourdeur à porter avec chaque pas sous la chaleur nous fatigue, je dois ralentir pour attendre S. Au retour je vais faire un tour sur Gmail pour voir si la consigne de l’atelier d’écriture est tombée, mais je ne vois que le message de la nouvelle lettre d’info, la date et l’heure du prochain zoom. Toujours pas la possibilité d’y assister ou l’envie. A un moment j’imagine écrire des messages sur le tchat comme proposé, puis ça me ramène illico à l’idée de commenter. Je n’ai rien à échanger, rien à dire, en dehors des moments où j’écris je ne suis plus que du silence, ce qui n’est pas du mutisme bien que l’impossible soit de même nature. Je me suis demandé ce qu’allait bien pouvoir être cette nouvelle proposition et dans quelle mesure le prologue déjà n’avait pas déclenché l’essentiel. Il y a une hésitation entre appliquer ce qui sera proposé et qui dans ce cas sera du domaine ludique en partie et cette pulsion qu’entraîne depuis ce nouveau cycle la présence de ce petit roman. Comme s’il suffisait de tirer doucement sur le fil pour que tout vienne.


Un visage connu. Quand peut-on dire que l’on connaît un visage ? Peut-être lorsque le regard se pose sur ce visage, que l’on se sent aspiré tout entier, de fond en comble, dans la quiétude, l’émerveillement.


Écrire dans une urgence. Impossible de compter sur l’avenir, de prétendre avoir encore des mots à disposition pour pouvoir le faire. Se dépêcher de noter avant que tout ne s’évanouisse. Écrire panique. Et puis une fois que l’on y est on s’y installe, on n’arrive plus à quitter. Cette difficulté d’imaginer achever un texte quelqu’il soit, de s’achever tout simplement. Allonger au fur et à mesure de la journée ces bribes grappillées, y revenir comme on se gratte une démangeaison. Probable que de tout cela une seule phrase sera à retenir peut-être rien de plus voire rien du tout. Si j’étais journaliste je me serais sûrement penché sérieusement sur l’art du recyclage. Rien de façon intrinsèque est utile ou inutile, il s’agit seulement de connaitre la bonne adresse où expédier. Comme en peinture chaque œuvre trouve une adresse, mais il est vrai aussi qu’il ne faut pas être pressé pour prendre le temps d’éplucher carnets d’adresses et bottins, faire beaucoup de route parfois, exhiber.

S’empêcher, s’autoriser, s’en foutre. Des milliers de canevas possibles avec ces trois mots.

10062023

promenade vers Chambalu juin 2023

Il faudrait noter les rêves tout de suite en se réveillant , sinon ils disparaissent. C’est sans doute l’essentiel à retenir de ce rêve de la nuit. Rêver qu’un rêve disparaisse, que l’on puisse le perdre à tout jamais. Ce n’est pas une tragédie, le sentiment de la perte flotte dans l’obscurité un faible instant, quelques secondes à peine avant que l’on ne soit déjà passé à autre chose. Ce n’est pas le contenu de ce rêve qui est important. Je découvre ( ou je rêve de découvrir soudain) que ce n’est pas ce contenu sur quoi on a l’habitude de vouloir focaliser l’attention. L’important c’est d’avoir pris conscience d’avoir rêvé durant son sommeil, de s’être éveillé, d’éprouver un instant cette sensation de perte, de se rendre compte. Il est possible que dès que nous cherchons à noter un rêve à partir des bribes dont nous pensons nous souvenir, nous sommes toujours en train de le rêver. Que le fait d’avoir pensé s’être réveillé, de s’être rendu aux toilettes, puis au bureau devant l’ordinateur pour écrire ces quelques phrases ne soit que la partie encore visible d’un rêve qui déjà se dissout dans un autre plus vaste dont on a tout oublié.
Noter ce genre de considération sur la nature du rêve apportera t’elle un progrès ? Se souviendra t’on mieux de ces rêves après avoir écrit ces lignes ? Y a t’il une forme de conscience qui est consciente qu’elle rêve au sein même du rêve et qui, comme le petit Poucet, tente de semer des petits cailloux dans un paysage onirique ? Et dans ce cas ces repères seraient destinés à qui, à quelle conscience vraiment une fois que nous serions éveillés. Serons-nous jamais éveillés un jour ? Avons nous plusieurs consciences en même temps, une pile de consciences, un mille-feuilles de consciences, des consciences comme autant de fréquences radio sur la bande FM. Et dans ce cas la translation d’une fréquence à l’autre et qui s’opère de façon involontaire la plupart du temps, peut elle être observable, voire améliorée, rendue plus précise. Peut-on apprendre à se caler ainsi d’une zone de conscience vers une autre. C’est ce que propose Don Juan au jeune Castaneda dans « l’herbe du diable et la petite fumée ». Modifier son point d’assemblage avec la réalité du monde. Le vieux sorcier Yaqui utilise pour cela une tape entre les omoplates du narrateur, sans doute effectuée avec l’intention exacte de parvenir à modifier ce point d’assemblage. Ce qui, comme pour le rêve, n’est pas la frappe qui compte mais l’intention avec laquelle on la donne, ou, pour le rêve, qu’on se souvienne qu’il a existé un instant de notre vie en tant que rêve distinct si possible de tout autre. On peut déplacer ainsi une évidence première vers une autre à laquelle on ne pense jamais mais qui lorsqu’on la découvre semble parfaitement évidente.

Peut-être n’ai-je jamais cru à la possibilité à la réalité d’un éveil véritable. Que toute sensation d’éveil ne serait jamais qu’une fiction à l’intérieur d’une fiction plus vaste. Que même la sensation très claire d’ubiquité serait, elle aussi, seulement un rêve dans un rêve et rien de plus. Ce qui me fait vivre dans une fatalité effroyable ce n’est pas que celle-ci soit effroyable, mais bien qu’elle soit fatale.

Dans un tel cas peu importe l’adjectif.

Encore une fois je repense à cette initiation à l’astronomie, en classe de 6ème. Le professeur nous regarda un instant puis il nous demanda d’imaginer qu’au début il n’y avait rien. Je fus zélé à un tel point que je m’évanouis séance tenante. Mais d’y repenser ce n’est pas tant le mot rien que celui de début qui m’aura bouleversé, tout début impliquant par déduction rapide une fin. Et aussi je crois que c’est exactement à partir de ce moment crucial je me suis enfui dans la métaphysique. Par la découverte d’un illogisme que je n’étais pas en mesure d’expliquer mais que je ressentis jusque dans la moelle de mes os.

Une solitude ontologique, c’est à dire une solitude de l’être. Autrement dit tout ce qui est, est fondamentalement seul. De même que l’infini n’est constitué que d’une suite de choses finies, d’achèvements. Qu’il ne peut jamais y avoir deux choses absolument identiques, pas plus que deux nombres identiques.

Ensuite que des liens puissent se tisser c’est bien possible. Mais certainement pas à cause de cette pulsion grégaire. Foot et Kronembourg, même si je comprends, je n’y arrive pas, je n’y suis jamais arrivé vraiment. Il n’y a finalement que les livres qui nous mènent à la reconnaissance d’autres solitudes de l’être. En tous cas il faut aussi accepter ce genre de fatalité qui n’est qu’un choix par défaut, une fois que toutes les autres possibilités mènent de façon répétitive à une impasse. Il n’est plus question d’espoir et de déception à ce check point où l’on arrive. On regarde les cartes que l’on a en main et voilà qu’on les voit très clairement, absolument, on ne peut plus ni en douter ni les remettre en question.

Un trou d’eau boueuse en travers du chemin par lequel il faudra bien passer si l’on veut atteindre une quelconque autre rive.

Kafka et Proust, fleuves d’écriture, témoignages de l’insomnie, création de l’insomnie. Peut on lutter contre ce genre d’inondation, peut on créer des digues, des barrages, encore faut-il en avoir à la fois la possibilité et l’envie. Quand il n’y a plus rien d’autre à faire que de se vouer tout entier à l’insomnie au lieu de lui résister. Il est possible qu’ainsi, paradoxalement, on tombe un jour d’un sommeil définitif un sourire de béatitude au coin des lèvres.

L’idée d’établir des listes pour occuper le temps où l’on ne peut dormir modifie étonnamment ce que l’on associe à chaque élément de ces listes pris d’ordinaire séparément.

Liste des premières fois où l’on découvre quelque chose par exemple. En examinant une telle liste tous les mots s’effondrent pour ne plus laisser apparaitre que le concept de première fois proche de celui de nouveauté, proche d’excitation, proche de nerf , proche d’avoir des nerfs

Avoir des nerfs et tenir face à tout emballement, tout emballage, toute fiction de nouveauté. Rien de nouveau sous le soleil, se le répéter comme un mantra. En rire ensuite en découvrant ce genre d’énormité.

Découverte d’un livre sur l’insomnie « pas dormir » Marie Darrieusecq chez P.O.L Mélange d’insomnie et d’alcoolisme. De nombreuses références ( trop ? ) Mais fournit si l’on s’intéresse au sujet une bibliographie impressionnante sur le sujet.

Fondamentalement seul nous parlerions une langue incompréhensible pour quiconque voudrait l’entendre ou la lire. Un livre est donc un grand miracle, au sens de prodige de merveille qu’il puisse simplement être lisible. C’est ce que je me dis en même temps que je retombe sur la même difficulté, ou impossibilité d’imaginer en écrire un. Un manque de foi dans les miracles peut-être… En même temps je lis beaucoup, le miracle est déjà là sans même que je ne m’y arrête.

Qu’est-ce qu’un livre aujourd’hui ? un ouvrage de couture, non pas du stylisme au gout du jour, les mots rapiéçage et ravauder surgissent soudain, et aussi me revient ce souvenir, ce chapeau étonnant que j’avais acheté à Gallway en Irlande constitué de multiples pièces de tissu colorés et de matières diverses, je l’ai perdu quelque part, je ne sais plus où. Perdre son chapeau, ne plus savoir où se trouve le chapeau. Le chapeau c’est aussi un élément important dans l’édition, dans la presse. C’est ce qui donne envie de lire un texte, un article. Etre dépourvu de l’envie de donner envie, est-ce grave docteur ?

J’essaie autant que possible de noter au fur et à mesure ce qui me vient sur le même billet pour alléger la fréquence de mes publications, ne pas trop déranger. Je pars avec quelques lignes que je publie aussitôt, puis j’y reviens dans la journée désormais plusieurs fois, allongeant ainsi le texte journalier. C’est encore un nouvel exercice je crois que je suis en train de m’inventer. Le fait de savoir pertinemment qu’un lecteur ne revient pas sur le même billet me procure une étrange satisfaction. Comme une petite victoire personnelle sur mon narcissisme.

Un autre œil

30×30 Elle ne dort que d’un œil tech mixte 2022

Maintenir l’œil aux aguets dans l’attente d’un nouveau regard nécessite d’entretenir la foi en l’avenir. Et pourtant parfois il semble que l’attente n’y soit pour rien. Parfois L’œil s’ouvre spontanément sans prévenir. On se transforme tout à coup en Regulus. Ensuite on peut aussi se demander si cela ne vient pas d’une émotion vécue dans le passé et qui continue à lancer en aveugle ses stolons jusque dans le présent.

Si je regarde le monde d’un autre œil, la difficulté que j’entrevois ne provient pas du monde mais bien de cette quête d’ouvrir un œil dont j’ignore à peu près tout, et des conséquences qui inévitablement s’en suivront.

Sur la façade de cette vieille bâtisse un œil rond comme celui d’un oiseau, mais ça n’a jamais gêné quiconque autour pour dire qu’il s’agit d’un œil de bœuf. D’un autre côté me suis-jamais assez tenu si proche d’un bœuf pour lui examiner le blanc de l’œil ?

Bon pied bon œil un borgne cul de jatte se rend à Kiev par les chemins de traverse.

Je vous ai à l’œil dit l’agent. J’examine sa pupille et je vois le reflet du sens interdit. Je n’en rajoute pas, le garde pour moi.

Un œil de velours mais râpé comme un vieux Laffont.

Les yeux de merlan frit prêtent des pensées interlopes à l’espèce entière, et probable que ce ne fut qu’à cause d’un, d’un pied gauche, d’un mauvais jour, d’un agacement devant l’étalage d’un poissonnier.

Il plisse un œil, puis se dit que repasser demain les idées claires sera profitable.

En un clin d’œil il mourut sans se rendre compte qu’il avait vécu.

Il a le compas dans l’œil et c’est probablement la raison pour laquelle il tourne en rond.

un œil noir signe que le temps se brouille.

Des yeux grands comme des soucoupes, c’est un peu moins que ceux plus gros que le ventre.

fermons les yeux enfonçons cette tête dans le sable et prions très fort pour que le monde des Bisounours ne soit qu’un mauvais rêve.

Sur l’insomnie, petite réflexion

un cerisier en noir et blanc

Entre la naissance et la mort on peut trouver le temps long, mais de quel temps parle t’on vraiment quand on parle de ce temps là. Chez les bouddhistes la notion d’éveil est avant tout une notion de réveil, se réveiller et agir, ce n’est pas du tout un pack de conseils pour atteindre la lévitation ou je ne sais quelle autre type de connerie transcendantale.
Se réveiller c’est découvrir à la fois l’illusion du temps dans laquelle nous avons pris l’habitude de ruminer, autant dire de dormir, et c’est un fichu choc, un gouffre qui s’ouvre sous les pieds. Car si ce temps que dans lequel nous pensions vivre est juste un rêve que nous effectuons durant notre sommeil, qu’en est t’il du temps véritable dans ce cas, celui qui nous est imparti entre naissance et mort en réalité ?
Une telle prise de conscience, ce réveil, peut s’effectuer à n’importe quel moment, qu’on soit jeune ou vieux. Il est plus intéressant sans doute que cet éveil se produise jeune pourrait on le penser, on imagine qu’on aura ainsi un temps infini pour faire beaucoup de choses. Sauf que nous sommes tous à la même enseigne concernant l’ignorance de l’heure prévue de quitter ce monde. Cette idée du temps est donc encore pour une grande part erronée.
Pour les insomniaques en revanche, et d’autant plus si on est un vieil insomniaque on pourrait s’en plaindre si à terme on ne préférait s’en réjouir. Car l’insomnie nous contraint au présent, un éternel présent, celui de l’écriture s’en rapproche. Le suicide n’est peut-être chez l’insomniaque qu’un manque de patience, un empressement qui ne trouve pas sa satisfaction. Vivre dans un éternel présent demande des nerfs c’est de plus en plus évident, et dans ce but abuser du café comme des somnifères est véritablement un crime de lèse-majesté.

Si j’avais un ami

en me promenant je tombe sur cet empilement de palettes et de caisses.

Il y a de nombreux faits horribles qui se déroulent à chaque instant de la journée dans notre monde et je m’interroge régulièrement sur les raisons des media d’en privilégier un parmi tous. Quelle raison véritable les pousse à mettre en avant cet abjection ci plus que celle là. Peut-être se sont-ils rendus compte d’une certaine injustice car désormais il est rare qu’une horreur n’en cache pas au moins une ou deux autres à la suite chaque soir . Jouer sur la diversité du même pour inciter le public à s’enfoncer chaque jour un peu plus dans le divertissement jusqu’à le confondre avec la banalité. Comment peut-on on réagir à cela ? En ne regardant plus du tout la télévision ? En prenant le recul nécessaire pour porter l’attention sur le vocabulaire employé ? Notamment ce déferlement d’adjectifs ou d’adverbes. Examiner les mimiques des présentateurs qui ont le pouvoir de se métamorphoser d’un événement spectaculaire à l’autre et même envers les bénins. A vrai dire on aurait maintes occasions de changer de point de vue désormais sur la façon dont on nous présente l’actualité, on pourrait même sans être trop cynique, trouver moyen de se divertir ainsi. Par exemple le lundi je ne relève que les adjectifs, le mardi seulement les mines de componction, le mercredi j’admire le numéro de voltige d’une transition l’autre, entre un incendie dévastateur en Californie, une inondation en Lozère, le crash d’un avion de tourisme en Uruguay, les dégâts de la grêle sur le cépage bordelais, les chiens ou les chats qu’on abandonne lâchement sur le seuil des vacances, la chute des banques régionales américaines. Le jeudi, je pourrais faire relâche, ne pas ouvrir la télé par exemple ni la radio, me refaire à neuf un paysage mental du monde, pour pouvoir encore mieux profiter de l’immersion dans l’effroi du vendredi du samedi du dimanche. Regarder ce qui défile d’un œil tout en bouchant l’autre avec la main ou tout ce qui peut me tomber à ce moment là sous la main. Me lever du canapé et me tenir sur une jambe le plus longtemps possible jusqu’à ce que les mauvaises nouvelles s’évanouissent dans les spots publicitaires, dans les feuilletons débiles. Faire des pompes. Avaler sans respirer un pot entier un pot de fromage blanc sans sucre ni confiture. Il n’y a que l’embarras du choix qui pourrait faire obstacle à ce fameux changement de point de vue si on réfléchit un peu.
Je pourrais tout aussi bien me dire qu’à mon âge mon temps est probablement plus que compté, jeter la télévision à la benne, placer du Mozart sur la micro chaîne, compter les moutons, téléphoner à un ami, si j’avais un ami.

est-il possible d’éprouver une émotion en decouvrant la beauté d’une pièce de métal , sans doute.

09062023

attirance pour ce qui s’accroche, parasite, étouffe, l’ensemble créant presque une sculpture fantastique, une œuvre monstrueuse à priori qu’il faudra bien trouver belle c’est à dire naturelle ou juste

Hier soir ce petit bruit m’intrigue plus que les quelques jours où nous l’avons surpris, dans la salle de bain. L’intuition me vient alors de redescendre dans la cour puis d’ouvrir la trappe de la cave et là catastrophe monte des profondeurs obscures le son caractéristique d’une cascade. La chatte tourne autour de la béance et se frotte à mes mollets. Peut-être, mais ce n’est que supputation, se réjouit- elle enfin. Cela fait à peu près le même temps que nous avons découvert ce petit bruit qu’elle est devenue nerveuse, qu’elle miaule en venant nous voir et qu’évidemment nous n’y comprenons rien. Combien de temps, deux trois jours environ. Ce qui est étonnant c’est que l’office des eaux ne nous ait pas prévenu cette fois-ci. D’habitude nous recevons un email pour nous prévenir d’une consommation anormale. Déplacer le meuble qui occulte la trappe du sol dans la cuisine pour accéder au robinet général n’est pas une petite affaire. La panique s’en mêle assez vite ensuite quand je m’aperçois que la trappe est coincée, que je ne peux accéder à ce fichu robinet. Retour à la remise pour saisir une masse à 22h et briser la trappe. Mais celle-ci est armée de ferraille. La panique se transforme presque en rage. Du genre on a bien besoin de ça en ce moment. Ce serait le moment d’allumer une cigarette si je fumais. Soudain la ferraille cède, je l’écarte suffisamment pour tenter d’accéder au robinet en y enfonçant une main et là miracle la trappe se décolle toute entière juste au moment ou j’essaie de ressortir celle-ci qui se coince dans l’étroite ouverture. Je me retrouve avec la trappe coincée au poignet. C’est tellement con que je rigole tout à coup, c’est nerveux.

Une tension si forte qu’un rien peut tout faire basculer vers le rire ou les larmes. Dans ces moments là on n’est que dans l’émotion brute, chaotique, on est submergé, la pensée tourne à vide. On ne parvient pas à prendre ce fichu recul, cette distance par rapport aux évènements et surtout à soi-même. On perd le contrôle. C’est justement à cela qu’il faudrait pouvoir être attentif car je crois que ce chaos n’est pas lié à cet évènement précis mais à toute une longue chaîne qu’il conviendrait de pouvoir remonter dans le temps pour retrouver L’EVENEMENT initial, c’est à dire celui qui la première fois nous a chamboulé à ce point qu’on ne cesse jamais de le réactualiser durant toute une vie. Mon père entre dans une colère homérique quand quelque chose lui échappe ne serait-ce que le marteau quand il essaie de planter un clou. Il s’en prend au monde entier à ces moments là et bien sûr nous dérouillons. Nous sommes en première ligne ma mère ou moi. Cela signifie que L’EVENEMENT doit se produire au cours de mes trois premières années d’existence car je n’ai pas souvenir qu’il s’en prenne à mon frère cadet. Ensuite cet événement premier si terrifiant et en même temps tellement fécond, la question se pose s’il a véritablement existé tel que je le décris ainsi ou si mon imagination l’a revêtu de ce costume d’effroi. Et à un tel point d’intensité, si proche finalement du désir de le voir continuellement se reproduire.

Parallèlement à tout cela nous avons fait appel à N. pour qu’il vienne nous installer la voile triangulaire qui nous procurera de l’ombre dans la cour; le parasol déglingué d’avoir trop souvent mal résisté aux bourrasques ayant achevé sa course à la déchetterie en début de semaine. L’antithèse absolue de mon père en matière de bricolage. Pas un mot, des gestes précis, et probablement calculés d’avance selon un plan établi. La toile est désormais tendue, un triangle de tissu vert presque turquoise qui réagit de façon intense avec le rouge des lauriers en pot placés contre un des murs.

Je m’évade de ces observations en portant l’attention sur un accord de couleurs. Mais quelque chose se cache sous celles-ci c’est la notion de plan. Si on fait un plan avant d’agir, dans le bricolage ou dans l’urgence, il y a beaucoup moins de chances de céder à la panique. A moins que justement la panique soit le but désiré, c’est à ce moment où l’on forge cette hypothèse que le mot chance prend tout à coup toute son importance.

Qu’une journée ne soit qu’une répétition de la même difficulté à résoudre ou non. Que le résultat attendu ne soit pas une résolution mais seulement une prise de conscience. Voilà une intuition intéressante aussi dans la mesure où l’écriture est une façon de répondre au présent de l’insomnie, que l’écriture se nourrit essentiellement du présent, de ce qui se produit dans ce présent. Comme si l’insomnie débordait de ce lieu qu’est la chambre, qu’elle envahissait désormais toutes les pièces et même la cour, et l’atelier. Comme si l’insomnie en envahissant tout le lot au sens cadastral du terme cherchait à maintenir un équilibre, une forme d’intégrité ou de raison d’être par l’excès, par une forme de panique qui ressemble à celle éprouvée en m’acharnant sur cette trappe de la cuisine pour contrer une fuite, une hémorragie.

Lu quelques pages encore de ce roman de Clark pendant la nuit. Rama nom hindou donné à ce vaisseau qui contient un monde de démesure. Dommage que le style de l’écriture s’appuie sur un excès de détails inutiles à mon goût, ce qui produit étonnamment une envie de réécrire cette histoire de manière plus sobre et en utilisant l’ellipse. Les personnages aussi sont assez caricaturaux. Par contre sans trop de détails ce qui laisse assez libre l’imagination. Le fait que je ne parvienne pas à être emporté par la lecture ne fléchit pas la durée allouée à ce temps de lecture. Une heure par jour, c’est ce que j’ai estimé correct pour établir une régularité acceptable, mais parfois il m’arrive de pousser plutôt vers deux lorsque je ne parviens pas à trouver le sommeil. Autrement j’écris. Je lis et j’écris durant mes nuits d’insomnie. Je n’arrive pas à peindre. La peinture s’associant dans mon esprit bien plus à la lumière du jour, à une entité que l’on peut dire solaire, et contre toute attente alors que jusque là solaire évoquait la figure paternelle je m’aperçois que l’aura de ce mot nimbe bien plus ma mère.

Elle ne paniquait pas. Elle trouvait dans mon enfance des solutions à tout et n’avait pas son pareil pour égorger une poule, assommer d’un seul coup net un lapin. Elle se contenait beaucoup, énormément, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus le faire. alors elle préférait sombrer dans la dépression, l’alcool ou la peinture quand elle le pouvait encore. Et quand elle désirait faire mal elle le faisait avec beaucoup de sang froid en usant de termes, d’images très précises. A coté d’elle quand j’y repense mon père avait l’air d’un gros poupon aux rages désordonnées. Ce qui peut-être provoqua cette facilité du mépris, ce mépris pour un reflet de soi qu’on n’accepte pas certainement.

L’œil du cyclone est ce lieu où l’on peut remettre en question tout l’imaginaire associé à la fois aux tempêtes comme aux temps calmes, au beau temps. Sans doute ne nous sert t’il s’il doit servir à cette prise de conscience des frontières que nous établissons de longue date entre la sensation de confort et celle d’inconfort. Sensation en très grande partie liée à la maturité ou l’immaturité de nos émotions. On peut être érudit, en imposer dans le jeu social, voire même être lucide affreusement, doté d’une intelligence, et parallèlement être un nouveau-né dans le domaine émotionnel. Que fait l’Académie dans ce domaine ? Rien. Elle continue à vouloir bourrer les crânes et laisser les cœurs en jachères, parce que c’est par les sentiments qu’on gouverne le mieux les gens n’est-ce pas.

Pour rester un moment avec mon épouse au salon je subis les premières minutes du JT et sa cascade de tragédies. Qu’un fait divers si horrible soit-il soit à ce point monté en épingle, qu’il serve à l’expression de toute la classe politique pour rappeler sa présence au bon peuple me révolte et me sidère. L’incessante récupération des faits divers pour rappeler des valeurs auxquelles on a peine désormais à croire qu’eux y croient vraiment est d’un cynisme qui flirte avec l’abjection. Mais je m’exprime dans l’insomnie bien sûr, avec cette étrange lucidité qu’elle procure, avec cette sensation de supériorité sur tous ceux qui roupillent. On ne peut pas dire que mes propos ne soient pas déformés par celle-ci.

Tentative de rédaction d’une lettre à F. au sujet de son « et toi, ça va ». Difficulté à écrire à quelqu’un dans ce que nous nommons la réalité. La virtualité est désormais si forte désormais, que les liens véritables qu’on désire installer semblent presque aussitôt sujets à suspicion. Toujours cette obsession du pourquoi, de l’intention. Et la difficulté à dire simplement pour donner quelques nouvelles, pour remercier, pour dire je t’aime. Comme si le fait d’avoir été ponctionné de toutes nos données personnelles via les réseaux nous laissaient à l’état de loques, que la méfiance s’était immiscée partout, que la seule solution n’était plus qu’abdiquer devant le ridicule de la plupart de nos actes.

Le fou est celui qui est libre de sa parole, nul ne le prend au sérieux. s’exiler du sérieux pour pénétrer dans un autre. Une solitude sans frontière. ici personne ne peut t’atteindre, tu es déjà mort crucifié. Est ce qu’on se retourne sur un crucifié ? Renaître est rare, une fois qu’on en tient un qui a bien voulu faire le pas on ne le lâche plus. Sa présence biffe toutes les autres, les projette dans un vertige d’oubli. Et c’est absolument parfait. Être libre de sa parole, c’est peut-être la seule liberté possible au détriment de toutes les autres dont on a saisi la nature moindre en intensité, sans nécessité de reflet ni de retour.

Et puis dans la vie de tous les jours le réflexe de l’équilibre prime sur tout le reste, répondre par oui ou non, s’abstenir de se répandre ne jamais parler de soi, de cette vie, de la parfaite absurdité d’être là plutôt que de ne pas y être.

prendre conscience soudain de l’immaturité d’un cœur peut entraîner vers le jardin pour prendre soin des plantes. Ça ne compense sans doute pas le manque mais ça fait du bien le temps que ça dure. C’est d’autant plus plaisant que la saison s’y prête; cette impression de prendre soin d’une fragilité que l’on déterminera dans l’arbitraire est tout aussi fugace que celle produite par la solidité de nos usages, nos routines nos habitudes , notre confort. Au terme d’une vie bien des impressions ne peuvent plus être qualifiées autrement qu’ainsi. l’incompréhension du début comme de la fin serait un bon début si justement on n’arrivait pas à une fin. Une résistance comme un vieux ressort qui lâche.

un peu plus tard me revient une des phrases favorites de mon père  » on dirait qu’elle a un manche à balai dans le c. » Ce qui produisait une confusion, bien sûr entre l’aviation et le nettoyage, globalement. j’appris plus tard que croiser ce genre de femme ne signifie pas qu’elle soit aviateur ni même femme de ménage. Non, ce sont juste des femmes qui ont un manche à balai dans le c. et ça ne doit pas être bien confortable pour ce que j’en imagine, bien sur.

lecture de quelques textes en prologue au roman, cet exercice de l’été. Toujours la difficulté des commentaires, d’en écrire comme d’en lire. C’est un groupe, je ne pense pas en faire vraiment parti, comme d’ailleurs d’aucun à mon souvenir. Bien sûr il y aurait des choses spontanément à dire, mais je préfère m’abstenir, je me méfie de cette spontanéité désormais. Comme si elle appartenait à une espèce éteinte. Désormais règne l’interaction, les algorithmes, commenter participe plus d’un « jouer le jeu » mais on a aussi le droit de regarder de loin le jeu, d’être un anonyme, un simple spectateur.